Face à une guerre qui semble sans fin, les cercles du pouvoir à Bamako envisagent discrètement de négocier avec le fondateur du groupe islamiste Ansar Eddine.
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Faut-il négocier avec le diable ? La question travaille la société malienne, ébranlée par une guerre qui lui semble sans fin. Il y a plus d’un an, des opposants, des leaders religieux, des chefs traditionnels s’étaient déjà prononcés en faveur de discussions avec les groupes djihadistes qui multiplient les attaques meurtrières dans le nord et le centre du pays.
Aucun haut responsable de l’Etat n’osait cependant aborder ce sujet tabou publiquement. Dans les cercles du pouvoir à Bamako, cette possibilité était évoquée de manière discrète, notamment par crainte d’irriter la France qui a toujours des soldats déployés sur place et rejette cette éventualité.
« Avec tous les fils de la nation »
Lors de la Conférence d’entente nationale, qui s’est tenue du 27 mars au 2 avril à l’initiative des autorités, l’une des recommandations rédigées par les participants a interpellé. Elle invite à « promouvoir une culture de paix et de dialogue avec tous les fils de la nation, y compris avec des islamistes maliens », à condition que leurs revendications « n’entament pas l’unité nationale et les fondements de la République ». Le rapport de cette conférence recommande ainsi de « négocier avec les extrémistes religieux du Nord, en l’occurrence Iyad Ag-Ghali, tout en préservant le caractère laïc de l’Etat ».
Négocier avec Iyad Ag-Ghali, le fondateur du groupe djihadiste Ansar Eddine, « le plus politique des leaders touareg », comme le décrit l’un de ses partenaires des précédentes rébellions, l’Etat malien l’a déjà fait à deux reprises en 1991 et en 2006. Un autre temps, cependant.
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Depuis trente-cinq ans, Iyad Ag-Ghali a participé aux guerres au Liban, en Libye, au Tchad. Le fils de notable Ifoghas en a déclenché deux au Mali. Pour Bamako, celui qui a lentement basculé vers le djihadisme fut à maintes reprises un interlocuteur utile, servant d’intermédiaire pour la libération d’otages occidentaux aux mains d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) sous la présidence d’Amadou Toumani Touré.
Mais est-il encore un partenaire pour la paix ? Dans une vidéo, diffusée le 2 mars, où il apparaît entouré notamment de l’émir du Sahara d’AQMI et d’un représentant de l’Algérien Mokhtar Belmokhtar – figure de l’insurrection djihadiste en Afrique du Nord et au Sahel –, l’ancien rebelle indépendantiste annonce la création du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, dont il est aux commandes. Une forme de consécration qui lui offre le titre symbolique de parrain d’Al-Qaida au Sahara et au Sahel, avec l’objectif affirmé d’« élargir sa présence dans un plus grand espace géographique, d’affaiblir l’ennemi et de le cibler partout où il se trouverait ».
Acteur incontournable du djihad dans les étendues désertiques du Sahel et du Sahara, Iyad Ag-Ghali est également une personnalité centrale du jeu malien. « Depuis deux décennies, c’est lui la référence de la jeunesse de Kidal [le bastion de la rébellion touareg], et il détient encore sur place la clé du problème. Mais, à Bamako, il est aussi devenu très populaire dans certaines mosquées ou associations religieuses », précise un observateur sur place.
« Que peut-on faire : rester les bras croisés ? »
Parmi les premières voix à s’être exprimées en faveur de l’ouverture de discussions, l’opposant Tiébilé Dramé continue inlassablement de défendre le principe d’une solution négociée. « Bien sûr que la détérioration sur le terrain, le sang des militaires et des civils maliens qui coule tous les jours, et la radicalisation des groupes compliquent la donne, mais que peut-on faire ? Rester les bras croisés ? L’absence de réponse politique est inacceptable », s’agace-t-il. L’ancien ministre et médiateur de l’ONU rappelle que lorsqu’il conduisait des pourparlers en 2013, « le Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad, qui était un rameau d’Ansar Eddine, exigeait la création d’un califat avant d’accepter le principe de la laïcité de l’Etat malien ».
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Cette « victoire de la raison », le Haut Conseil islamique (HCI) du Mali veut également y croire. « Si cela rate, on aura un alibi, mais on ne peut pas refuser dès le départ toute discussion. L’exclusion entraîne la radicalisation », plaide Mohamed Kimbiri, l’un des responsables de cette institution dont les instances dirigeantes, d’obédience wahhabite, tentent de maintenir ouverts les canaux de discussion avec les djihadistes maliens.
Après avoir discrètement approuvé les dernières tentatives de médiation du HCI, selon l’idée que « tout ce qui peut mettre fin à l’état de belligérance est positif » et que « le combat religieux ne se mène pas contre l’Etat, mais à l’intérieur de la société », un cadre de la présidence malienne assure désormais que « des discussions ne sont pas à l’ordre du jour ».
Toujours une cible prioritaire pour Paris
Faut-il percevoir derrière cette soudaine prudence le poids de la France qui, depuis janvier 2013, intervient militairement dans le nord du Mali – à travers l’opération « Serval », devenue « Barkhane » – et a déjà perdu dix-neuf militaires sur place ?
A l’issue de la Conférence d’entente nationale, le ministre de la réconciliation assurait que « tout enfant de ce pays qui veut déposer les armes ou quitter cette engeance extrémiste, djihadiste, est le bienvenu chez lui ».
Puis le ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, est venu à Bamako le 7 avril pour réaffirmer le « combat sans ambiguïté » contre les terroristes. Dès lors, les possibilités de discussion avec « les terroristes qui revendiquent les attentats » se sont, officiellement, refermées.
Pour Paris, Iyad Ag-Ghali demeure l’une des cibles prioritaires dans la bande sahélo-saharienne. « C’est un terroriste. Notre objectif est de le neutraliser », confiait récemment un diplomate. Au ministère de la défense, le langage est plus explicite. « Si on l’avait eu dans la ligne de mire, il ne serait plus vivant aujourd’hui », assène une source à l’Hôtel de Brienne, qui estime que le chef djihadiste doit sa survie à la protection que lui octroient les services algériens – soucieux de garder une carte à jouer sur ce dossier.
« Point de non-retour »
Insaisissable depuis le déclenchement de l’opération « Serval » il y a quatre ans, Iyad Ag-Ghali n’a cessé de voir son aura grandir, mais dispose-t-il encore de la marge de manœuvre pour faire la paix avec Bamako ? Le journaliste Adam Thiam en doute. « Il existe des schémas de discussion : une amnistie pour ceux qui déposent les armes, comme en Algérie, ou des discussions entre oulémas sur ce que peut faire ou ne pas faire un musulman comme en Mauritanie, note-t-il. Cependant, je ne vois pas comment Iyad [Ag-Ghali] peut accepter une négociation. Au nord, AQMI le tuera, et au sud, il sera très difficile de lui pardonner Aguelhok. »
En janvier 2013, après la conquête de cette ville, quatre-vingt-quatorze militaires maliens avaient été exécutés par les rebelles qui tenaient alors le nord du pays, selon le Haut-Commissariat des droits de l’homme de l’ONU. Une personnalité de la région, détentrice de nombreux secrets du désert, ne croit pas non plus à ce que la paix soit possible entre le pouvoir malien et le nouveau chef du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans. « Iyad, dit-il, a franchi le point de non-retour. Il attend le martyre. »